Dans l'intimité du Dôjo, les chandelles faisaient danser ton ombre sur les murs pourpres. Cette minuscule silhouette valsait contre les moulures, la tapisserie, le velours des épais rideaux – au rythme de tes mouvements corporels, creusant davantage les courbatures déjà installées. Ta carcasse féline avait été froissée durant ta récente quête et la cantilène de tes ossements s'évaporait à chacune de tes contorsions. Tes paumes s'unirent, tes bras dessinant une courbe dans laquelle tu t'étirais. La psyché mordorée planté au cœur de la pièce, te renvoyait les arabesques qui s'esquissaient à la surface de ta peau – dont certaines avaient implanté leur signature récemment. Dans un soupir, tu coulissas ton pouce sur ce sceau cicatriciel ancré dans ta maigre épaule. Cette enveloppe charnelle n'avait plus rien de féminin : les balafres se multipliaient sur ton épiderme halé, ta crinière brune avait été une énième fois coupée au rasoir d'un kunai lorsqu'un adversaire y avait glissé sa paume pour te traîner à ses pieds et ta poitrine étouffait sous un bandage ankylosant pour que ton galbe glisse au sein de l'armure Senju.

Tes ongles dénouèrent cette étoffe geôlière, t'arrachant un gémissement de libération. Les baisers ecchymosés avaient serpenté jusqu'en dessous du tissu pour marbrer ton corsage dénudé – sûrement en prélude d'une côte fêlée. Déshabillant l'unique fauteuil de la soie qui y sommeillait, tu engouffras tes chairs embrumées dans un kimono tranché à l'orée de tes cuisses et dont les manches bouffantes éclipsaient les bandages. Tu abhorrais ces vêtements traditionnels – mais aujourd'hui, tu avais été conviée. Tu pivotes sur une jambe comme une comète, analysant la qualité du tissage. Connaissant ton âme faunesque, il était fort probable que tes toilettes se parent de trous, de coutures disparates... Mais par chance, aucun défaut sauta à tes iris bigarrés.

Tu quittes lentement la résidence clanique. Certaines âmes sont encore présentes, balayant ces allées foulées par les plus grands guerriers de la capitale. Ta dynastie avait étendu son étreinte protectrice autour de la contrée flamboyante – et déjà quelques murmures se tapissaient dans la pénombre pour parler d'une éventuelle domination des créatures du bois. Il ne fallut quelques foulées pour que ton ombre se silhouette contre le restaurant. Un panaché de nuances bistré et ivoire, de nombreux cerisiers éployant leurs branchages rosés – ce lieu respirait la relâche et l'oubli de soi dans les abysses théacées. La fragrance empyreumatique s'évadait de la petite cheminée sous forme de volutes, fleurant l'atmosphère de senteurs caramélisées.

Ta main repousse le vantail, découvrant ces deux âmes familières. Haruka t'offrait le spectacle de son échine – abritée gracieusement dans du satin flamboyant. Seijirō, quant à lui, était figé dans un rictus, une main resserrée à l'arrière de sa chevelure. Bottée jusqu'aux cuisses, tu rejoins l'effervescence diurne, ta silhouette contournant les tables avec lenteur. À ta vision, certaines mâchoires se crispent soudainement. Tes démons intimes avaient bien souvent secoué les esprits – qui ne comprenaient pas comment le Daimyo pouvait asseoir ses espoirs et sa confiance sur des épaules aussi volcaniques.

« Oy. »

Tu t'installes face à la nymphe aux prunelles lavandées. Une bouteille vient vous rejoindre et Haruka remplit chacun des trois verres. La coupe entre tes griffes se macula d'un nectar apoplectique et tu le portas à tes lèvres avides. C'est entre deux gorgées que tu croisas enfin les prunelles masculines. Tu recules ta mâchoire du cristal, le regardant à travers le philtre flamboyant. Ton sang ne fit qu'un tour. Il avait cet effet sur toi. Tu te décrochas alors de l'ange déchu pour reposer ton attention sur la Reine des Insectes.

« Ça fait une éternité que nous n'avons pas été réunis tous les trois... »

Les reliques du passé cinglèrent ton esprit. Tu te revoyais môme, avec une si longue chevelure que tu marchais presque dessus, à califourchon sur ce pauvre garçon damné que tu châtiais à la force de tes petits poings – tandis que la petite nymphette intercalait son propre corps pour faire cesser les querelles.